– Michèle DEBONNEUIL –
Économiste, Administratrice de l’INSEE, Inspectrice Générale des Finances,
Auteure de”La Révolution du Quaternaire”
La satisfaction client sous un autre angle, dans le respect des valeurs plébiscitées par les consommateurs et les collaborateurs, valeurs d’honnêteté, de sobriété, simplicité, transparence, sincérité, responsabilité
Avec l’arrivée des technologies numériques, de nouveaux entrepreneurs – ceux qu’on appelle aujourd’hui les GAFAM- ont vu que le numérique allait permettre d’organiser tout autrement la satisfaction des besoins : au lieu de se déplacer pour acheter des biens et des services, les consommateurs allaient pouvoir accéder à leur mise à disposition sur leurs lieux de vie (livraison à domicile de biens commandés sur Internet, usage d’un véhicule partagé, accès à un aidant à son domicile pour une personne âgée…). Quelques entre-prises (Google, Apple,…) ont produit les supports mobiles (téléphones, ordinateurs, logiciels) sur lesquels les consommateurs ont pu avoir accès à des applications Ces applications se sont multipliées grâce à la créativité de toutes sortes de start-up qui ont imaginé toutes sortes de mises à disposition (informations, biens, personnes).
Dans ce nouveau paradigme, le rôle du travail est profondément changé. D’une part, il y a «désintermédiation», le consommateur faisant lui-même, sans intermédiaire humain, la recherche de l’application lui donnant accès à la start up qui organise les mises à disposition. D’autre part, les emplois nécessaires pour effectuer les mises à disposition sont des emplois isolés, mal payés, souvent de travailleurs indépendants, remplaçant de plus en plus l’emploi salarié. Ces nouveaux travailleurs ne sont plus dans le rapport de forces d’obtenir des revenus décents. D’ailleurs, plus ils seront exigeants, plus rapide sera leur remplacement par des robots autonomes. L’objectif de cette organisation est de s’affranchir le plus possible des coûts du travail (coûts variables) pour ne plus avoir que des coûts fixes (de logiciels et matériels, robots et véhicules autonomes) dont le partage mondial permet leur réduction jusqu’à la nullité. C’est le fameux «coût marginal nul». Le prix de ces mises à disposition est donc très faible mais les entreprises qui, dans cette concurrence terrible (qualifiée de «monopolistique»), réussissent à devenir des oligopoles mondiaux – les GAFAM – sont néanmoins richissimes car ils vendent les données personnelles collectées à l’occasion de ces mises à disposition.
Le cercle vertueux dans lequel les salariés étaient jadis bien payés et pouvaient s’acheter des produits chers a été remplacé par un cercle vicieux dans lequel tout devient presque gratuit et où les hommes au travail sont mal payés et seront progressivement systématiquement remplacés par des robots. Cette situation ne permet plus de créer une croissance partagée par le travail. Les inégalités se creusent inexorablement jusqu’à atteindre des niveaux incompatibles avec l’existence de démocraties vivantes. Nous en sommes là! Certains préconisent d’encadrer les GAFAM, ce qu’il faut certainement essayer de faire, mais cela nous semble tout à fait insuffisant car c’est leur paradigme même qui pose problème. En effet, non seulement il conduit à la disparition d’un bon travail pour tous et à l’usage marchand des données personnelles, mais il condamne les consommateurs à passer leur vie devant des écrans, noyés sous la publicité et perdus au milieu de machines numériques et de robots autonomes, sans recours possible à l’humain.
Comment croire que ce paradigme corresponde à la meilleure utilisation des technologies numériques pour satisfaire les besoins des hommes, en particulier les nouveaux besoins complexes et fondamentaux au niveau social ou/et environnemental, comme ceux de l’organisation de la vie quotidienne des personnes vieillissantes à leur domicile, ceux de la mobilité partagée dans les territoires, ceux de la rénovation énergétique des logements…. Là se trouvent les gisements d’une nouvelle croissance durable et partagée! La bonne nouvelle, c’est que des entreprises industrielles et de services commencent à s’organiser pour proposer aux consommateurs un paradigme complémentaire de celui des GAFA pour satisfaire ces nouveaux besoins complexes: au lieu de laisser le consommateur seul devant son écran pour choisir l’offre qui lui convient, ces entreprises ré-intermédient cette phase en accompagnant le consommateur dans ses choix en le faisant aider par un salarié qualifié dont ce sera le métier. Ensuite, elles prévoient de déléguer les services choisis avec le client, non pas comme les GAFA à des travailleurs à la tâche vulnérables, mais à des entreprises ayant des salariés bien formés pour mettre à disposition et entretenir les objets connectés et pour apporter les soins et l’accompagnement dont les consommateurs ont besoin. Pour ce faire, elles utiliseront une plate-forme qui organisent les échanges entre toutes les entreprises parties prenantes, plate-forme dont les revenus proviendront des services qu’elle rend et non de la vente des données qu’elles traitent.
Cette nouvelle croissance qui incorporera de nouveau beaucoup de travail qualifié, comme les services de la Relation Client, permettra de renouer avec une distribution plus égalitaire de la richesse créée. Loin de relancer l’ancienne croissance mourante, elle lancera une nouvelle croissance qui sera à la fois durable car fondée sur le soin des objets et des personnes, sociale car créatrice de bons emplois et éthique car respectueuse des données personnelles. Elle permettra de satis-faire efficacement et humainement de vrais nouveaux besoins en alliant l’homme et les nouvelles machines du numérique. Elle permettra de passer de l’avoir plus à l’être mieux.
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