Directeur-associé au sein du cabinet PMP Conseil, Joël y développe les stratégies clients, digitales et retail. Également professeur associé à l’université Paris-Dauphine et enseignant en innovation produit à Sciences Po Paris Joël Plat a occupé différentes fonctions exécutives chez Carrefour, Krys, Jardiland et Apple.
La maitrise du digital en fait des disrupteurs mais c’est leur centricité client qui en a fait des géants
Parmi de nombreuses autres caractéristiques, les GAFA (1) ont révolutionné l’expérience client. Par l’usage du mobile, des interfaces utilisateurs « friendly » et surtout la connaissance et la personnalisation issues de leur maitrise de la data, en moins de 10 ans, les géants du net sont devenus nos meilleurs amis, indispensables, omniprésents, prévenants et plein de considération.
Avec l’angle client, comment considérer ces marques qui nous facilitent la vie – qui pourrait sérieusement se passer aujourd’hui de Google, Apple, Facebook ou Amazon (2) ? Ce sont d’ailleurs des acteurs qui malgré leur puissance ou la crainte qu’ils peuvent inspirer, créent une forte relation émotionnelle avec leurs utilisateurs (3).
Ces marques bénéficient de la fidélité, de l’engagement de leurs clients : Amazon a 250 Millions de clients dont 100 Millions Prime, 2,5 Milliards d’utilisateurs pour Facebook et 1,5 Milliards de comptes iTunes chez Apple ou encore 3 Milliards de requêtes quotidiennes sur Google search.
C’est probablement cette centricité client qui a éloigné l’anti-trust des « Big 4 », jusqu’ici. Toutes les enquêtes, les investigations sur le risque de domination des GAFA, aux États-Unis ont buté sur leur quasi-utilité publique : au service de l’anti-terrorisme et de la sécurité nationale (Apple, Google). Dans un rôle de soutien à la lutte contre la criminalité (Amazon collabore avec de nombreuses polices locales, grâce à ses outils biométriques).
La mission d’Amazon c’est d’être l’entreprise « la plus centrée client au monde », selon Jeff Bezos son fondateur et CEO. Cela doit être l’obsession des 470.000 employés de la firme de Seattle (4).
On connait bien, dorénavant le business model déséquilibré des GAFA : les points de rentabilité qu’ils « perdent » parfois sur leurs activités faciales, la logistique et le retail pour Amazon, la gratuité de Facebook ou du moteur de recherche pour Google, ils les récupèrent au centuple sur la publicité ou le commerce de la data qualifiée.
La data, ce nouvel or noir du marketing et parfois même des financiers et actionnaires avisés, n’est-elle pas elle aussi un outil au service de la considération ?
Assurément oui, du point de vue des « quatre » (5), les GAFA mais aussi et plus encore pour les NATU leurs cadets, disrupteurs des marchés de rente, la télévision, la location, l’automobile, le taxi, qui n’ont pas su innover, injecter les investissements et surtout la considération qu’attendaient les clients et plus particulièrement les générations Y et Z.
“Netflix, AirBnB, Tesla et Uber sont des marques qui font rêver nos enfants.”
Elles sont nées sur le lit du manque de considération (au sens « connaissance, empathie, proximité ») des clients et ont créé une nouvelle frontière, celle de la relation personnalisée, attentionnée et individualisée.
Il serait intéressant de nous arrêter un instant sur le filtre de réalité entre la considération perçue par les clients et celle réellement promue par les NATU. Uber est un bon exemple de ce paradoxe.
La proposition de valeur est exceptionnelle pour le client- trouver toujours une voiture, au prix et à l’heure convenus, sans surprise de temps de transport et avec un paiement fluide. Lorsqu’on questionne les clients des VTC, ils s’estiment considérés par la Marque. Pourtant l’histoire d’Uber souligne à quel point elle considère assez peu les agents de son écosystème au premier titre desquels les chauffeurs, qui sont mésestimés et par contrecoup les clients finaux, qui en subissent les conséquences.
Les GAFA comme les NATU trouvent leur raison d’être dans l’expérience qu’ils font vivre à leurs clients – exception faite sans doute de Facebook et cambridge analytica (…) C’est une vitrine qui dissimule à peine la course au profit de ces « big tech » qui avec une capitalisation boursière de l’ordre de 4 Milliards $ pèsent aussi lourd que la 4ème économie mondiale, l’Allemagne .
La Chine préservée des avantages et contraintes de la démocratie a développé une forme originale de géants technologiques, les BATX- Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi. Ils sont sans doute plus surement que leurs cousins occidentaux le produit d’une construction rationnelle et systématique qui s’appuie sur la tradition et les valeurs et exploite les aspirations de modernité.
Leur schéma de considération est social, la maitrise de la data est illimitée (6).
BATX, ils développent une autre forme de considération, collective, sociale et … totale
Difficile à envisager avec notre prisme occidental mais les BATX font preuve d’une certaine forme de considération envers leurs clients.
Quelques exemples, chez Tencent et Alibaba.
Avec Honor of Kings, son MOBA (Multiplayer Online Battle Arena) joué quotidiennement par plus de 200 Millions de personnes en Chine , Tencent surfe sur la considération qu’il porte tout à la fois à l’empire chinois et à ses joueurs- pas seulement des geeks mais aussi et surtout des chinois fiers de leur culture, de leurs valeurs millénaires et…de leur téléphone portable, avec lequel ils jouent toute la journée. Le conglomérat anime la communauté de ses joueurs, par exemple en limitant leur addiction au jeu (7) ; en retour les fans de la marque lui apportent considération et respect sur les réseaux sociaux (essentiel en Chine), ce qui participe à son succès et rejaillit sur Tencent Weibo et WeChat les autres actifs clés du Groupe.
Tencent est la 1ère capitalisation boursière d’Asie.
Alibaba, le potentiel « 5ème cavalier » (8) qui pourrait rejoindre les GAFA sur le podium des Géants du web est né de l’admiration de (Jack) Ma Yun pour les USA et de son empathie. A 15 ans Jack est en échec scolaire mais il étudie et parle anglais, pour mieux accueillir les touristes qui visitent Hangzhou et son merveilleux Lac de l’Ouest (9). C’est cette même intelligence émotionnelle qu’utilise Jack Ma pour asseoir son succès, en créant Taobao, puis T-mall à destination des classes moyennes après avoir favorisé l’e-commerce BtoB des petites entreprises Chinoises sur allibaba.com et 1688.com. De même lorsqu’il développe le célèbre 11.11, la journée des célibataires, c’est pour que « les distributeurs et les marques manifestent leur reconnaissance aux consommateurs » dit-il.
Plus récemment, en déployant le paiement « smile to pay » par reconnaissance faciale , Alibaba propose une technologie amusante , fluide au plan commercial et respectueuse ; Car en Chine ça n’est pas le risque de dérive sécuritaire qui est en jeu- les chinois sont « d’accord » avec la logique de ranking social . Étonnant pour un occidental mais c’est le « beautifulling », la retouche d’image qui favorisera l’adhésion des clients Chinois et non le RGPD, qui n’existe bien sûr pas là-bas (…) .
Pour conclure , nous avons aussi en France nos champions internationaux, en cours de transformation, ils sont en passe de maitriser la technologie au service des parcours et de l’expérience Client- Accor, Décathlon, Orange, Air France ou La Poste pour citer les plus emblématiques .
Dans des proportions et avec des succès encore variables nos « géants » Français cherchent le chemin d’une considération client authentique et rentable, à l’ère digitale. La clé de leur succès sera sans doute dans leur capacité à exploiter le socle de valeurs d’empathie et d’authenticité qui les caractérisent tant dans leur relation client que dans l’expérience de leurs employés. Mais c’est un tout autre sujet, l’opportunité d’une prochaine conversation ?
Sources et bibliographie indicative
Auteur : Joël Plat
Mettez à jour votre navigateur pour afficher correctement ce site Web. Mettre à jour maintenant