Interview de David Abiker

David Abiker, Journaliste et Chroniqueur

Il a été DRH et consultant. Autrefois. Il est depuis 15 ans journaliste et chroniqueur à la radio, la télévision et pour divers magazines. Il anime avec fierté les Palmes de la Relation Client de l’AFRC avec la confiance du Président Dadian. Il harcèle régulièrement les services clients de ses marques préférées et regrette souvent de s’être emporté dans le combiné du téléphone. Il travaille à la douceur de son style quand il écrit un mail de réclamations à un SAV. Il est également Premier Secrétaire à vie de La Ligue Canine des Travailleurs fondée avec le chien trotskyste Vaïnito Pérez. A ses heures perdues, David Abiker rêve d’une Porsche 911.

Dans un monde noyé de sollicitations commerciales, bouleversé par les technologies d’intelligence artificielle, comment faites-vous pour choisir un produit, une marque ? 

Je fais confiance à mes envies et mes frustrations. Par exemple, depuis que j’ai eu 50 ans, j’ai très envie d’une Porsche 911. Ce n’est pas très convenable. Pourtant, je pense que les accélérations de la Porsche dépasseront celles du temps et me donneront une meilleure une image de moi-même… Et ces accélérations iront plus vite que les sollicitations commerciales. Cette saugrenue envie saugrenue grandit en moi comme certains ont envie d’un enfant ou se mettent à croire en Dieu. Ma femme est consternée, mes filles écolos me prennent pour un cochon et mes vieux amis ne me reconnaissent plus. Cette année, quelqu’un m’a mis dehors. Quand il me l’a annoncé, je n’avais qu’une image devant les yeux. Je voyais ma Porsche 911 s’éloigner…très vite. J’ai su alors combien je la désirais.

Pour être plus précis, pour choisir un produit ou une marque, je fais confiance à mes fantasmes et mes rêves et je vérifie que ces désirs durent plus d’un an.

Ensuite, je vois si j’ai les moyens d’éteindre ces désirs en consommant et si je ne les ai pas, je continue à les entretenir comme des braises. C’est le cas pour la 911, c’est une braise qui luit en moi comme un ostensoir. 

Etes-vous prêt à confier vos données pour que l’on vous considère, que l’on vous apporte de l’estime, de l’empathie ?

Dans un monde de solitude, d’individualisme et où chacun réclame à la fois son droit à la différence dans l’indifférence générale, la reconnaissance faciale, l’analyse prédictive, le fait d’être reconnu au travers de son empreinte numérique peuvent remplacer la reconnaissance, la gratitude voire une décoration officielle remise par un ministre. Si l’empathie et les honneurs viennent des machines et plus de la société humaine, alors il restera la solution du chien. Pour ma part mon chien m’apporte plus de reconnaissance que n’importe quelle marque. Les marques devraient s’inspirer des chiens et des mères juives, elles trouveraient immédiatement de nouveaux chemins pour apporter amour et reconnaissance à tous ceux qui comptent pour elles.

Avez-vous un exemple d’expérience client avec une entreprise, un commerce, un restaurant qui vous a manifesté de la considération ? Et quel geste vous a marqué ?

Avant de parler reconnaissance, parlons indifférence. Une de mes banques a mis deux mois environ pour me faire parvenir un formulaire relatif à une police d’assurance (ça m’a coûté 9 mails, un coup de fil à un copain qui connaissait la directrice de la relation client et une dépression de trois jours). J’ai trouvé que ce groupe bancaire atteignait un record dans l’indifférence. Et ça m’a touché profondément… De même, une compagnie m’a loué cet été un cabriolet sans me dire comment ouvrir le toit. En juillet dans le Vaucluse, j’ai trouvé ça très rigolo. Je me suis plaint et on m’a expliqué comment ouvrir le toit. Il suffisait de tirer une manette cachée dans le coffre (vicieux hein ?). J’ai exigé un rabais. Mais quand j’y pense, exiger un rabais en plein été au lieu d’écouter les cigales, c’est se rabaisser soi-même. Et ce qui est important dans la vie, ce ne sont pas ces petits gestes commerciaux dont un chien ne voudrait pas. Ce qui compte le plus au monde, c’est de pouvoir se plaindre, chouiner, couiner, grogner, pleurer, s’indigner et faire des scandales parce qu’on est un client insatisfait. « Je veux parler au responsable ! » J’adore cette phrase qui dit l’essentiel de ce que nous pouvons devenir quand nous sommes mal servis : des petits marquis… Aujourd’hui un client qui se plaint est presque mieux considéré par la société qu’un ancien combattant ou un professeur de médecine. C’est effrayant pour la société mais c’est formidable pour le client. Il y a de quoi se poser des questions. Néanmoins, quand je vais boire un verre à l’hôtel Raphaël, il y a Monsieur Christian Gomez. Il dirige le bar. Gomez sait accueillir, parler, se tenir, prendre des nouvelles et vous servir un Spritz avec une classe, une délicatesse et une gentillesse que je n’ai trouvée nulle part ailleurs. Quand M. Gomez vous accueille, vous avez l’impression d’être Jean Gabin dans un film noir. Il a ce mélange de familiarité, d’extrême politesse et de bienveillance qui fait un service d’exception. La classe absolue du service et de l’attention. Mais on ne trouve pas un Christian Gomez sous le sabot d’un cheval.

La considération attendue dans le travail est-elle aussi ou plus importante pour vous, que celle apportée à un client ?

Bien sûr qu’il faut considérer le client. Bien sûr qu’il faut considérer le salarié. Mais ça ce sont des évidences que les marques mettent en oeuvre avec plus ou moins de talent. Non, l’enjeu pour moi c’est la considération qu’on pourrait – je parle au conditionnel – apporter au fournisseur, au prestataire de service. Si être un client consiste à se comporter en petit tyran des réseaux sociaux, en un odieux personnage qui devient dingue pour un oui pour un non alors oui, je pense que la grande révolution, c’est celle de l’expérience client mais à l’envers. Au client de montrer qu’il est un type bien et pas un pistachier qui a tous les droits parce qu’il paie. D’enfant capricieux de la consommation, il pourrait devenir un être sophistiqué capable de dire merci à celui ou celle qui lui rend service, un être capable de patience, d’indulgence, une personne pleine d’empathie. Vous n’imaginez pas combien dire merci et encourager le bon service est un facteur de motivation pour tous ceux qui se farcissent des clients pénibles toute la journée. Vous imaginez une symétrie des attentions qui s’applique non seulement au salarié, au client mais en plus au prestataire de service ? Uber a raison de faire noter les clients par les chauffeurs. 

On pourrait bâtir une nouvelle société où le salarié, le client et le fournisseur seraient heureux de se rendre heureux mutuellement. Ceci étant dit, le monde ne sera vraiment parfait que lorsque j’aurai une Posche 911. 

Auteur : David Abiker

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