David Abiker est journaliste à Radio Classique où il présente la revue de presse de 8h30 et l’émission musicale de 18h00. Demandez le programme dans lequel il a développé un lien particulier avec les auditeurs.
David Abiker est également très lié aux magazines Le Parisien, Week-end, Management et 01Net dans lesquels il signe une chronique régulière. Il anime enfin des rassemblements professionnels avec son chien Obi-Wan auquel il est très attaché. Ensemble ils ont fondé la Ligue Canine des Travailleurs qui promeut le bonheur au travail et les liens entre collègues par la présence des chiens.
Nous l’avons interviewé pour l’AFRC MAG, sur le thème du “lien”, thème de référence aux Palmes de la Relation Client 2021 et qui le sera également tout au long de l’année 2022.
Qu’évoque pour vous la notion de « LIEN » et plus particulièrement dans le contexte actuel ?
J’aimerais rebondir sur l’étymologie du mot lien. Jusqu’au XIIe siècle le lien est une attache constituant une entrave. Peu à peu le terme va abandonner son sens contraignant pour prendre une acception affective et émotionnelle. Le lien attache, enchaîne mais est aussi le mot du rapprochement, le lien unit ou réunit, il rapproche sans nécessairement lier de manière unilatérale, sans pour autant emprisonner. En clair le lien est la meilleure et la pire des choses. En marketing on parle de client captif. Dans ce cas, le lien est un hameçon, une menotte, une chaîne. Ou bien on parle de client fidèle ou engagé et dès lors, le lien est sentimental et loyal dans le cadre d’une relation positive et consentie. Si j’étais coquin, je vous dirais que les adeptes du bondage ou du sadomasochisme l’ont bien compris. On peut s’attacher et y trouver de la liberté et du plaisir pourvu que chacun soit d’accord. J’arrête là mes scabreuses comparaisons.
En tant que consommateur, et attentif aux valeurs des entreprises (vous nous aviez parlé des pantalons Celio notamment dans un précédent numéro) aujourd’hui, quel(s) lien(s) souhaiteriez-vous « nouer » et/ou voir se développer avec les marques ?
Se lier à une marque est à priori facile. Il suffit de vouloir devenir son client. Il y a des accros à certaines marques.
Je pense aux malheureux junkies qui font la queue devant les Apple Stores quand la marque sort un nouveau produit.
Je pense également à celles et ceux qui ont choisi un produit d’entretien et n’en changeront pas. Dans un célèbre sketch, Coluche moquait une consommatrice qui n’aurait pas échangé un baril d’Ariel contre deux barils de lessive lambda.Si je vous parlais l’an dernier de mon lien avec Celio c’est que je peux trouver chez eux la garantie de pantalons bien coupés pour les gabarits comme le mien. Pas d’ourlet, des prix très attractifs, une qualité convenable, du choix et un personnel très sympa.
C’est là que le « lien » revient. J’ai une bonne relation avec tous les vendeurs Celio. A chaque fois je demande des nouvelles de l’activité, je suis souriant, poli bref, ils me le rendent bien. Plus je suis sympa plus ils le sont et quand ils me demandent si j’ai la carte de fidélité je dis oui, et j’ajoute qu’ils peuvent vérifier à quel point je suis fidèle et consommateur.
Oui je suis lié à cette marque qui me donne toute satisfaction côté pantalons. Et justement, ce lien est unique. Je ne me vois pas investi et lié avec toutes les marques. Ce n’est pas possible. Mon lien avec EDF est un lien de confiance mais pas aussi fort qu’avec Celio. On imaginera pourquoi. L’électricité joue dans ma vie un rôle central mais enfant gâté d’un pays industrialisé et riche, je trouve ça normal. Ce qui nous renvoie à notre relation sadomasochiste avec les entreprises de service public, ce qui est autre sujet… voisin…
Le lien avec Nutella est bien plus fort. Il est même passionnel. La passion peut vous dévorer. Et on me reprochera bien sûr mon lien déraisonnable avec Ferrero… ceci dit Ferrero n’est pas seulement Nutella.
Ce qui m’amène aux valeurs. Je suis vieux. Je commence à avoir un vrai recul de consommateur. J’en ai entendu des fadaises publicitaires et des déclarations d’amour des marques… Je les entends aujourd’hui invoquer les valeurs. Dans 9 cas sur 10 ces valeurs sont identiques. Comment voulez-vous que j’ai une relation vraie avec des marques qui disent toutes la même chose au niveau des valeurs (écologie, parité, durabilité, diversité, blabla) ? Voilà pourquoi toutes les déclarations d’amour et de valeurs des marques me laissent de marbre.
Comme Dalida quand Alain Delon lui parle d’amour dans Les paroles.
Excellente chanson d’ailleurs.
Cette notion de lien, n’est-ce pas aussi un moyen pour les entreprises de s’immiscer dans l’intimité des consommateurs, selon vous ?
Il faut tout tenter. Le prix, la qualité, l’innovation et enfin l’affect ou ce que certains appelleraient un supplément d’âme. Une entreprise doit vendre et faire des profits et la satisfaction du client est évidemment un chemin pour y parvenir. Si pour que le client soit satisfait il faut un supplément d’âme ou le fléchage d’une partie des recettes vers une grande cause, alors pourquoi pas. Le débat du moment ce sont les datas. Les datas c’est un lien qui peut s’établir à l’insu du client. Les marques grâce aux datas espèrent tisser un lien très étroit avec les consommateurs. Quand c’est fait sans clarté et dans le secret, bien sûr ça fâche. Mais quand ça le libère (là encore on retrouve le sens propre du mot « lien » lié à la contrainte et aux attaches), le client trouve ça très bien parce que ça rend les choses plus faciles, rapides, utiles.
Le client veut du lien, il veut être aimé, connu, respecté et choyé mais dans le même temps il veut son intimité et son indépendance. Le client ressemble à mes deux filles de 18 et 21 ans. Elles veulent tous les services des parents mais attention il faut respecter leur indépendance et ne pas entrer dans leur chambre. Mes filles sont de vraies consommatrices…
Et inversement : le lien n’est-il pas aussi un moyen pour le consommateur de devenir consommateur, par son influence grandissante sur le fonctionnement et l’organisation des entreprises ?
Sans doute. Grâce à internet le client fabrique du lien… C’est encore l’amour vache. Je suis content je le dis, je suis furieux je le crie. C’est une forme de relation. Mais ne commettons pas l’erreur de croire qu’une marque apporte affection, amitié, amour à des êtres humains. On est moins bête que ça et comme le chante si bien Souchon « Foule sentimentale, on a soif d’idéal » etc. Ce n’est pas aux marques de vaincre la solitude. Je ne dirais pas la même chose de mon boucher resté ouvert pendant la pandémie. Les artisans pourraient enseigner aux marques le vrai lien… attention, caractère, échange, fidélité. Je mets au défi n’importe quelle marque d’avoir avec nous le niveau de lien que nos artisans ont avec leurs clients. Impossible. Mon boucher de la boucherie des arts à Houdan, je l’aime presque d’amour.
Consom’acteurs ? Oui ça existe, il y en a 60 millions de consommateurs, l’association et son magazine sont l’ancêtre utile et efficace du consom’acteur moderne. Ceci étant dit, je ne suis pas assez engagé dans la consom’action pour m’assimiler aux nouveaux Jean Moulin de la résistance aux marques. Je ne vise personne évidemment.
En tant que collaborateur dans ce contexte particulier, pensez-vous que les entreprises vont réussir à maintenir ou renforcer le lien avec leurs salariés ?
Cette question dépend essentiellement des managers et des moyens qu’on leur donne. J’ai un lien très fort avec mes managers à Radio Classique et au groupe Les Échos, Le Parisien et plus globalement avec leur actionnaire, le groupe LVMH. Ce lien de qualité assorti d’une reconnaissance de mon travail fait 33 % de mon bonheur au boulot. Reste 66,66 % qui se répartissent entre l’intérêt de ce travail et le soutien social de mes collègues qui ignorent probablement à quel point le collectif qu’ils forment me lie à eux et à l’entreprise.
Quelle vision pouvez vous nous partager sur les organisations des entreprises où l’on parle actuellement de bureau partagé en roulement, de télétravail, de « workation » ?
Je n’ai pas l’esprit de système, je n’aime pas télétravailler et ne suis pas certain que la jargonisation des sujets relatifs à la qualité de vie au travail (même à domicile) soient un facteur d’amélioration de ces mêmes conditions de travail. Si la pandémie a servi aux organisations pour mieux répondre aux besoins de leur salariés à distance ou à proximité tant mieux. Si c’est pour jouer au jeu des chaises musicales au bureau et disperser le salariat façon puzzle, je ne garantis pas le résultat sur le climat social et le bonheur. Je vais donc vous faire une réponse en forme de pirouette. Une entreprise qui est d’accord pour m’accueillir de temps à autres avec mon petit chien Obiwan (et par là-même accepter le surgissement de ma sphère privée dans l’espace pro) mérite de tripler ses bénéfices.
Et que je me lie à elle un petit bout de temps.
31 janvier 2022
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