À la faveur des frimas de la reprise – cette sorte de printemps timide -, mais encore sonnés de ces années de crise, nous devons digérer ce qui nous est arrivé et nous armer gaillardement pour la suite. Avec cette espèce de superstition qui nous accompagne et qui fait que, chaque fois qu’on pense un après, on risque un retour. Mais ce qui ne tue pas rend fort, paraît-il, alors allons-y sans crainte.
Un regard rétrospectif, et un peu soulagé, sur cette période nous indique que le sanitaire a joué comme accélérateur sur nos hésitations. Et si, historiquement, chaque grande épidémie s’est accompagnée d’une transformation relationnelle et institutionnelle, notre actualité ne fait pas défaut à cette loi. Le virus a rebattu les cartes, accouché les transformations, et surtout, pour nos métiers du lien, modifié la hiérarchie de nos décisions, et donc remodelé nos agendas.
Le premier point est que l’on sous-estime encore aujourd’hui la manière dont les deux dernières années ont transformé les aspirations et les convictions de nos concitoyens. Et c’est d’ailleurs un phénomène totalement nouveau qu’on risque de sous-évaluer. En effet, nous avons vécu collectivement un moment paradoxal d’une activité économique qui a été globalement maintenue – de manière très irrégulière, et parfois artificielle, certes -, tout en traversant un modèle relationnel et social qui a été profondément blessé. Une sorte d’apocalypse muette.
Bon nombre de marques ont réagi, souvent de manière forte, parfois disproportionnée, par un récit de protection à l’adresse des clients qui avait formulé une expérience de vulnérabilité. Ces récits, pas toujours légitimes, peuvent avoir comme conséquence un sentiment perçu d’infantilisation, voire de misérabilisme. L’équilibre est difficile à établir entre la légitimité des marques à devenir maternantes, et leur recevabilité chez les publics qui ont mûri une exigence nouvelle et des aspirations.
Pourtant, c’est bien ce nouveau récit qui est en jeu, et qui va probablement occuper l’actualité prochaine des relations entre les marques et leur écosystème. L’introspection que chacun a nourrie, en tant que client, que collaborateur, voire que partenaire ou fournisseur, a placé comme valeur première le sens, l’utilité sociale, la cause de l’entreprise et sa contribution au monde. Vastes charges qui incombent désormais sur les modestes épaules des marques.
Si la dimension environnementale était déjà dans tous les agendas – d’abord comme contrainte, puis comme communication, parfois une comme modèle économique -, il apparaît que la dimension relationnelle prend une actualité cruciale. Les entreprises se sont longtemps définies comme des boîtes, posées ici et là, comme des objets autonomes, servies par le seul impératif de production, et monitorées par des comptabilités et des indicateurs qui feront fi des externalités.
Bon nombre d’entre elles ont fi ni par devenir extractives, en exerçant – souvent malgré elles – une action d’épuisement sur leur environnement. Épuisement des ressources naturelles, on peut le mesurer aujourd’hui de manière formelle. Mais pire encore, peut-être, sera l’épuisement des hommes et des femmes qui vivent dans ce modèle d’affaire. L’environnement dont on doit parler désormais est donc bien l’environnement relationnel, c’est-à-dire, l’économie de la considération.
Cet imaginaire catastrophiste dont nous sortons – probablement – a donc contraint les entreprises à formuler plus clairement des questions qui deviennent aujourd’hui stratégiques : quelle est la promesse relationnelle de ma marque ? Quel est le problème dont mon entreprise est la solution ? De quelles parties prenantes suis-je déjà co-acteur ? La cause de mon entreprise est-elle lisible ? Les relations que mon entreprise entretient avec son écosystème sont-elles génératives ? De quels indicateurs je dispose pour monitorer les impacts relationnels de mon entreprise ?
Ces questions ne sont plus un supplément d’âme. Et leur trouver une réponse permet de garantir que de telles entreprises sont indispensables, et que leur valeur économique est le signe de leur pérennité et de leur sens. Les entreprises mutualistes ont su revaloriser toute la dimension de médiation territoriale de leur modèle. Les maisons de luxe ont su, quant à elles, aborder les sujets sociétaux en contournant la seule dimension caritative. Les femmes ne sont pas que des victimes, les territoires ne sont pas que des déserts, le vivre-ensemble concerne les centres-villes comme les quartiers périphériques, et l’habitabilité du monde est une promesse extrêmement rentable…
Ainsi, le sociétal et le relationnel ne sont pas des sujets de douleurs ou de culpabilité, ils sont davantage des gisements de valeurs et de prospérité des entreprises post-covid. Car ces deux années – et après je cesse d’en parler… -, ont manifesté comme dans tous les moments cruciaux un clivage fort entre les marques futiles, voire superfétatoires, et les marques essentialistes. Si le superflu disparaît quand vient la tempête, au contraire, le lien et la cohésion, la confiance, voire l’expérience esthétique et l’art de vivre devient un trésor à préserver dont seules les entreprises du lien, celles qui ont investi dans la qualité relationnelle, pourront bénéficier.
26/04/2022
Paru dans le magazine de l’AFRC d’avril 2022
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