Damien LE GUAY –
Philosophe, Ethicien, conférencier
Président du CNEF (Comité National
d’Ethique du Funéraire)
Expert auprès du CNOF (Conseil
National des Opérations Funéraires)
piloté par le Ministère de l’Intérieur
Membre du CA de l’ASP-Fondatrice
(soins palliatifs)
Ancien membre du comité scientifique
de la SFAP – soins palliatifs
Membre du Conseil Scientifique de la
fondation KORIAN pour le bien-vieillir
Avec le Covid, tous les liens se sont détendus. Pour se protéger, il fallait se distancier, se confiner.
Les bureaux ont désormais des tentacules numériques. Les grandes certitudes de la relation-client sont ébranlées. Certes, le face-à-face est indispensable. La qualité est dans cette proximité-là. Mais là, dans cette expansion de la galaxie spatiale des entreprises, les liens sont devenus des filins fragiles, des fibres de longue portée qui vont jusqu’aux nuages. Jamais les liens n’ont autant ressemblé à une toile d’araignée. Les évidences d’indispensables proximité en sont-elles encore ?
Covid ou pas, ces nouvelles pratiques d’étirement et de maillage et de bureau numérique à distance vont rester. Mais, mise à l’épreuve, la notion même de « lien en entreprise » doit être reconsidérée. La crise est aussi une crise éthique. L’entreprise est un travail d’équipe. L’intelligence plurielle est remise en cause. Il ne faudrait pas en revenir à une structure centralisée avec un point fixe et des variables d’ajustement éloignée du centre. Il ne faudrait pas que l’organisation prenne le pas sur les personnes. Ces régressions d’hygiène numérique ferait perdre les acquis du qualificatif participatif. Alors ? Comment faire vivre une intelligence coopérative non plus sur une seule terre mais en galaxie ?
Comment continuer à s’augmenter par la conjugaison sans enfreindre les contraintes sanitaires d’un étirement des distances ? Comment faire que l’interaction des personnes ne disparaisse pas dans la froidure de l’internet ? Tout est là.
Mettons en avant trois défis éthique.
1/ Confiance.
L’interaction en entreprise est un système de surveillance, de camaraderie et d’émulation. À trop prendre de distance numérique, la part affective des relations pourrait baisser, la motivation diminuer, la surveillance se renforcer. Il importe de retrouver l’esprit du lien – même s’il est mis à distance. Jean Bodin a toujours raison : « Il n’est de richesse que d’homme ».
2/ Présence.
Une chose est d’être visible, une autre d’être présent. Plus l’écran fait écran, plus la présence s’affaisse. Or, la présence est une qualité humaine, une manière d’engagement d’entreprise.
Comment être là sans être là ? Comment n’être pas un avatar mais un vivant avec d’autres vivants ?
L’objectif est un don d’ubiquité sans perte de présence.
3/ Cohésion.
Les additions ne font pas des cohésions. Être les uns à côté des autres, chacun dans son coin, reliés seulement par le lien numérique ne permet pas facilement une adhérence d’ensemble. Or, seule compte la cohésion d’entreprise qui augmente le travail de tous permet de compter les uns sur les autres. Comment s’agréger quand les entreprises quittent les continents au profit des archipels numériques ?
Une solution pour ces trois défis : doubler les liens visibles distendus par des liens invisibles d’une confiance renforcée.
Comment ?
1/ Par l’élaboration d’une nouvelle éthique de la confiance à distance. « Loin des yeux, loin du cœur » dit-on. Comment être loin des yeux et proche du cœur – celui des dirigeants, de l’entreprise, des décisions ?
2/ Par une nouvelle reconsidération de la valeur du travail, alors même que le travail se désincarne de plus en plus – avec désormais des collaborateurs en réalité numérique.
Seule l’éthique permet de reconsidérer ce qui est perdu, d’en mesurer la valeur, pour mieux changer de configuration sans perdre l’essentiel.
Damien Le Guay – philosophe, éthicien,conférencier. Intervient aussi en entreprise sur des sujets d’éthique d’entreprise.
Maitre de conférences à HEC, enseigne à l’espace éthique d’île-de-France et à l’espace éthique de Picardie. Enseigne à l’IRCOM d’Angers.