Juridique : Démarchage téléphonique  : le Conseil d’Etat recadre l’ARCEP

Géraud Mégret  – Avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation – docteur en droit 

 

Le Conseil d’Etat, saisi par l’Association française de la relation client (AFRC) et le Syndicat des professionnels des centres de contacts (SP2C) vient de rendre une décision importante1 dans laquelle il rappelle que les attributions confiées par la loi à l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) sont limitées. Il retient, en substance, qu’il n’appartient pas l’ARCEP d’encadrer le démarchage téléphonique en définissant notamment des tranches de numéros pouvant être utilisés par les systèmes automatisés d’appels. Une telle compétence appartient aux seuls ministres chargés de la consommation et de l’économie numérique, souligne la plus haute juridiction administrative française. 

 

Ce sont deux délibérations de l’ARCEP du 24 juillet 2018 et du 11 juillet 2019 établissant le plan national de numérotation qui ont conduit l’AFRC et le SP2C à saisir le Conseil d’Etat. Parmi les nombreuses dispositions figurant dans ce plan, deux d’entre elles, entravaient directement la relation client. La première, avaient pour effet, à compter du 1er août 2019, prorogé pour partie au 1er janvier 2021, d’interdire l’utilisation par tout système automatisé d’appel, des numéros dits « territorialisés », c’est-à-dire les numéros géographiques (en 01 à 05), les numéros mobiles (en 06 et 07) et les numéros polyvalents (en 09). C’est l’un des outils du démarchage téléphonique – le système automatisé d’appel – qui était ici dans le viseur du gendarme des télécoms. La seconde restriction litigieuse visait, elle, les plateformes d’appel situés à l’étranger. Un émetteur étranger s’y voyait interdire de présenter un numéro « non authentifié ». Dès lors que l’émetteur était situé à l’étranger, il ne pouvait qu’avoir recours à un numéro « authentifié » d’appel, lequel suppose que l’opérateur de téléphonie soit en mesure de garantir instantanément que le numéro présenté a été attribué par l’ARCEP conformément au plan de numérotation, qu’il permet de rappeler l’émetteur et que son utilisation a été autorisée par l’affectataire du numéro. Les difficultés techniques inhérentes à la mise en place d’un système d’authentification des numéros d’appels conduisaient en réalité à priver les centres d’appel situés à l’étranger de la possibilité d’utiliser des numéros de téléphone français comme identifiant d’appel. Comme l’y invitait l’AFRC et le SP2C, ces deux dispositions ont été censurées par le Conseil d’Etat. 

 

Concernant les numéros émis de l’étranger, la loi du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique est venue combler les lacunes qui étaient dénoncées dans la requête en adoptant un régime d’authentification obligatoire des numéros utilisés comme identifiant d’appel, qu’ils soient ou non émis de l’étranger. Conscient que sa mise en place se heurte à des difficultés techniques, le législateur a toutefois reporté l’entrée en vigueur de ces dispositions au 25 juillet 2023. Le Conseil d’Etat ne pouvait donc que censurer le plan de numérotation de l’ARCEP qui conduisait à une application plus restrictive que celle voulue par le législateur. L’autorité de régulation ne peut pas aller au-delà de la volonté du législateur, c’est l’un des enseignements de cet arrêt. En pratique, on retiendra que la loi a aménagé un régime transitoire jusqu’au 25 juillet 2023. L’article 44 du code des postes et des communications électroniques prévoit que jusqu’à cette date, les numéros du plan de numérotation peuvent être utilisés par un identifiant d’appel par des émetteurs situés à l’étranger à condition qu’ils soient basés au sein de l’Union européenne.  

 

Le plan de numérotation est surtout retoqué sur les systèmes automatisés d’appels. En interdisant purement et simplement le recours aux numéros territorialisés par les systèmes automatisés d’appels, le plan de numérotation excluait par principe qu’un tel outil technique puisse être vertueux. Et cette interdiction menaçait d’autant plus la compétitivité des entreprises françaises que la définition retenue des automates d’appels était extrêmement large. En effet, contrairement à celle communément admise au sein de l’Union européenne, elle englobait tout appel ou message émis de manière automatique conformément aux instructions de ce système, peu important que l’appel ou le message émis débouche sur une conversation de vive voix. Au nom de la lutte contre le démarchage abusif, la délibération de l’ARCEP restreignait donc sensiblement, dès le 1er janvier 2021, la faculté de recourir à des automates d’appels, dont les systèmes prédictifs d’appels. Une telle interdiction pouvait sembler d’autant plus disproportionnée que le législateur, nous l’avons dit, est intervenu pour encadrer le démarchage téléphonique préférant toutefois s’attaquer aux mauvaises pratiques qu’aux bons outils, tels que les systèmes automatisés d’appels. C’est ce juste équilibre entre la protection du consommateur et la compétitivité des entreprises qu’une telle interdiction mettait à mal. Le Conseil d’Etat l’a bien compris en censurant là encore le plan de numérotation sur ce point. La haute juridiction administrative souligne que le code de la consommation a confié aux ministres chargés de la consommation et de l’économie numérique – et à eux seuls – le soin de définir les tranches de numéros qui ne peuvent être utilisées comme identifiant d’appel par un professionnels qui joint un consommateur dans le cadre d’un démarchage téléphonique. La loi n’a tout simplement pas confié à l’ARCEP une telle compétence. 

 

Les professionnels de la relation de client ne pourront que se réjouir de cette décision. D’abord, parce qu’elle conduit à l’abrogation de deux dispositions du plan de numérotation – l’une relative aux appels émis de l’étranger, l’autre visant les systèmes automatisés d’appels – qui menaçaient leur secteur d’activité. Ensuite, parce que la compétence conjointe des ministres chargés de la consommation et de l’économie numérique pour répondre aux problématiques posées par le démarchage téléphonique permettra sans doute d’éviter qu’elles trouvent pour seule réponse la défense d’un intérêt catégoriel. 

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